En février 2022, l’ancien Ministre de la Culture et de la Francophonie, Jacques Toubon, s’est insurgé contre l’emploi d’un indigeste « franglais », au sein de nombreuses administrations, entreprises et surtout, dans l’univers de la publicité. La saillie a aussi atteint la sphère des jeux en ligne.
Un contre-sens sur la portée de la Loi
Mais, sur une fausse induction de la part du Guardian, la plupart des sites de jeux en ligne ont vite conclu qu’on allait interdire aux joueurs en ligne l’emploi de leurs anglicismes favoris. Même si c’était l’intention pédagogique finale, l’interdiction est un contre-sens monumental qui répercute une fausse nouvelle ou fake-news. Seules les administrations sont tenues de châtier leur langage, puisque l’usage du français est inscrit dans la Constitution. Au-delà, sauf si les sites et les joueurs choisissaient de les imiter, on voit mal comment ces nouveaux usages systématiquement francisés pourraient s’imposer. Est-ce que cela diminue la portée de l’ambition de Jacques Toubon ? L’objectif de la loi Toubon est de protéger simultanément la langue française et, par ricochet (non par l’interdit), le citoyen-consommateur.
La loi peut-elle modifier les usages courants de la langue ?
Au-delà du monde des jeux, on s’est aperçu très vite des limites inhérentes à l’application de la Loi Toubon. Dans le cadre d’Internet, les messages ne sont pas censés s’arrêter aux frontières des pays. Tout dépend d’où l’exprime celui qui parle ou écrit, à quel public il s’adresse, etc.
L’anglais, code linguistique du commerce international ?
L’ancien ministre fustigeait un système de valeur implicite, qui ferait de l’anglais la langue courante des affaires et de la finance. Le français serait comme « relégué » à l’expression des beaux-arts et de la culture, bref, à tout ce qui ne rapporte qu’un supplément d’âme, et non de l’argent. La langue de Shakespeare aurait triomphé, en s’imposant comme la langue naturelle du libéralisme, au détriment de la langue de Molière, devenue moins ‘utile », au sens du courant de pensée utilitariste de Jeremy Bentham.
Les institutions sous la surveillance de l’Académie Française ?
Il y a 27 ans déjà, Toubon érigeait en interdit l’emploi du moindre anglicisme à « Toute personne morale de droit public » et à « toute personne privée chargée d’une mission » de droit public ». Ainsi pouvait-on énumérer les domaines concernant les produits, les biens et les services, pour lesquels « l’obligation d’emploi du français était maintenue dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi, la garantie, les factures, les quittances ».
La publicité n’adoucit pas les mœurs, mais les codifie
Un domaine-phare de communication est particulièrement visé : il s’agit de la publicité écrite, parlée et audiovisuelle. Tous les messages à l’attention du grand public passe par la façon dont s’expriment les grandes marques pour passer dans le « style de vie ». Ce sont elles qui produisent les postures, les attitudes et comportements « dans le vent » des consommateurs. Les adolescents, en particulier, dont la personnalité est en plein modelage, sont très sensibles aux inflexions et nouveaux modes de langage qui leur construisent une « manière d’être ».
La loi Toubon incompatible avec les usages d’Internet ?
Les controverses soulevées au moment du passage de la Loi étaient déjà révélatrices de son incompatibilité avec l’arrivée de l’internet.
Notamment, la prohibition de tout terme étranger contredit l’exercice de la libre expression et le droit « pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ; que la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de différentes sources, qu’il s’agisse de termes étrangers, d’expressions en langue régionale ou de vocable dit populaire ».
La loi vise toutes les formes de publicité, excepté un, les communications par voie électronique.
Un véritable exercice de droit normatif, qui se confronte au réel
On ne pourra pas reprocher à Jacques Toubon de n’avoir pas honoré sa mission culturelle en tentant d’aller jusqu’au bout de ce que le droit peut apporter à la transformation de la société.
La commission d’enrichissement de la langue française a fait de son mieux pour apporter des équivalents linguistiques français à des concepts, anglais ou simplement techniques, qu’il est quasiment impossible de traduire.
Mais c’est là que leurs rôles respectifs s’arrêtent : on l’a vu, Internet n’a pas de frontière, les notions courantes, comme le streaming, matchmaking, season pass, pay to win, free to play, e-sport, cloud gaming, sont des marqueurs identitaires, déjà passés dans les pratiques quotidiennes : y a-t-il un seul moyen humain pour les en faire sortir ?
L’illusion collective qu’une censure d’État allait tomber comme un couperet a simplement renforcé l’identité forte et rebelle de la communauté des Gamers, dans un grand cri de ralliement : « Ne touche pas à ma gameboy », pardon, à mon jeu d’ado.